Savoir s’arrêter : le secret de la juste mesure
持而盈之,不如其已;
揣而銳之,不可長保。
金玉滿堂,莫之能守;
富貴而驕,自遺其咎。
功成身退,天之道也。
Traduction proposée
Remplir un vase jusqu’au bord et vouloir encore le tenir —
Mieux vaut s’arrêter à temps.
Aiguiser une lame jusqu’au plus fin tranchant —
Elle ne pourra durer.
Quand l’or et le jade remplissent la maison,
Nul ne peut les garder.
Quand la richesse mène à l’arrogance,
C’est le début du malheur.
Accomplir son œuvre et se retirer —
Voilà la Voie du Ciel.
Commentaire
Ce chapitre est un chant de la modération, un rappel que le trop est l’ennemi du bien. Lǎozǐ, par des images simples — un vase trop rempli, une lame trop aiguisée, une maison pleine d’or — nous met en garde contre la démesure, l’avidité, et l’orgueil après le succès.
Le mot-clé ici est 盈 (yíng), le "plein", mais dans le sens de "trop-plein", "débordement". Tenir ce qui déborde, c’est s’exposer à la perte. Lǎozǐ invite à savoir s’arrêter, à ne pas chercher à aller au-delà du juste moment.
Le danger du succès
功成身退,天之道也
Accomplir quelque chose, puis se retirer, voilà ce qui est conforme au Dào.
Cette phrase, souvent citée, exprime une sagesse profonde : ne pas s’accrocher à ses succès. Quand une œuvre est achevée, il faut se retirer avec simplicité, sans vouloir dominer, briller, ou exploiter à l’excès ce qui a été acquis.
Ce principe est à contre-courant des ambitions humaines. Et pourtant, combien d’êtres puissants ont chuté non pas à cause de leur échec, mais à cause de leur excès de réussite, mal géré ?
Résonance contemporaine
Aujourd’hui, ce chapitre nous parle plus que jamais :
– Trop remplir son agenda.
– Trop posséder.
– Trop montrer.
– Trop vouloir contrôler.
Lǎozǐ nous dit : l’équilibre réside dans la mesure. Il faut savoir s’arrêter quand la chose est belle, ne pas tout vouloir, ne pas durer trop, ne pas pousser trop loin — car tout ce qui est excessif se retourne tôt ou tard contre lui-même.
Se retirer avec élégance, sans attachement, sans orgueil, est peut-être le sommet de la maturité intérieure.