La marche parfaite ne laisse pas de trace
Texte chinois
善行,无辙迹;
善言,无瑕谪;
善数,不用筹策;
善闭,无关楗而不可开;
善结,无绳约而不可解。
是以圣人常善救人,故无弃人;
常善救物,故无弃物。是谓袭明。
故善人者,不善人之师;
不善人者,善人之资。
不贵其师,不爱其资,虽智大迷,是谓要妙。
Proposition de traduction
Celui qui marche habilement ne laisse pas de traces.
Celui qui parle avec justesse ne laisse pas d’imperfections.
Celui qui compte habilement n’utilise pas de jetons.
Celui qui ferme bien n’a besoin ni de verrou ni de clé, et nul ne peut ouvrir.
Celui qui lie bien n’a besoin de corde, et nul ne peut délier.
Ainsi, le Sage sauve toujours les êtres, et ne rejette personne ;
Il valorise toujours les choses, et ne rejette rien.
Ceci est ce qu’on appelle "envelopper la lumière intérieure".
Ainsi, l’homme de bien est le maître de l’homme qui ne l’est pas,
Et l’homme qui n’est pas bon est la matière de l’homme de bien.
Ne pas honorer son maître, ne pas aimer ce qui peut instruire,
C’est s’égarer, même avec beaucoup d’intelligence :
C’est cela le mystère essentiel.
Commentaire
Ce chapitre condense l’art d’agir selon le Dào : sans laisser de trace, sans démonstration de force, sans outils apparents. La véritable efficacité est invisible. Loin des manifestations bruyantes du pouvoir ou du savoir, la sagesse véritable est fluide, discrète, et imprégnée d’une profonde compassion pour les êtres et les choses.
Le Sage ne jette ni l’être ignorant ni l’objet abîmé, car tout peut être transformé, tout a une valeur dans le regard de celui qui sait en révéler l’usage profond. Ce rapport à l’autre, à la matière et à la vie est empreint de douceur et de persévérance : enseigner sans domination, apprendre sans honte, c’est là la vertu d’humilité et de coopération.
Le paradoxe final — que l’intelligent qui ne respecte ni maître ni matière est grandement égaré — souligne une vérité essentielle du Dào : sans enracinement dans l’expérience et dans le respect du monde tel qu’il est, même la plus brillante intelligence devient vide, vaine, et confuse.
Résonance contemporaine
À l’ère de la performance visible et des résultats mesurables, ce chapitre nous invite à redécouvrir la puissance du discret, de l’essentiel, de l’intériorité. Un bon éducateur ne laisse pas de traces mais permet à l’autre de grandir. Un bon artisan s’efface derrière son œuvre. Un bon dirigeant n’impose pas mais inspire. Le Dào nous rappelle que la vraie transformation n’est pas spectaculaire, mais profonde.
Dans un monde où tant de choses sont jetées, que ce soient les objets ou les êtres humains, ce texte enseigne la valeur du soin, de la récupération, de la considération — pour les autres comme pour soi-même. Il nous exhorte à reconnaître dans chaque faiblesse une potentialité, et dans chaque erreur un chemin de connaissance.