Au cœur des montagnes, là où la brume se faufilait entre les pins anciens, se trouvait un village réputé pour ses sculpteurs sur bois. De leurs mains naissaient des figures d’une finesse inégalée - des dragons ondulant avec un réalisme saisissant, des grues semblant prêtes à s’envoler, et des divinités si finement ciselées qu’on aurait pu les croire vivantes.
Un jour, un jeune sculpteur, renommé pour son habileté mais las d’une quête sans fin, partit à la recherche du sage daoïste qui vivait à la lisière de la montagne. Il le trouva assis devant un large bloc de bois brut, caressant sa surface rugueuse avec une tranquille révérence.
« Maître, » dit le sculpteur en s’inclinant, « j’ai passé ma vie à affiner mon art, mais plus je perfectionne mon travail, plus je ressens une agitation intérieure. Chaque sculpture que je réalise me donne l’impression de poursuivre quelque chose que je ne pourrai jamais saisir pleinement. Que me manque-t-il ? »
Le sage sourit et tapota le bloc de bois non sculpté. « Dis-moi, que vois-tu ? »
Le sculpteur l’examina attentivement. « Rien encore. Ce n’est qu’un bloc de bois, en attente d’être façonné. »
Le sage secoua la tête. « Il est déjà entier. Avant que tu ne le sculptes, il est illimité - il peut devenir un dragon, une grue, une divinité, ou ne devenir rien du tout. Mais dès que tu commences à le tailler, ces possibilités disparaissent. Plus tu le raffines, plus tu perds. »
Le sculpteur fronça les sourcils. « Mais sans sculpture, il est inutile. »
« Inutile pour qui ? » Le sage eut un petit rire. « L’arbre ne désire pas être sculpté. La montagne ne souhaite pas être taillée. Le Dào ne cherche pas à être raffiné. Il s’écoule tel qu’il est. »
Le jeune homme resta silencieux un long moment. Puis, il passa ses doigts sur le bloc de bois, sentant ses nœuds, ses veines, l’histoire silencieuse qu’il portait avant même que la lame ne l’effleure. Pour la première fois, il ne vit plus seulement l’œuvre qu’il voulait créer, mais l’essence de ce qui était déjà là.
Il s’assit simplement aux côtés du sage, observant la brume des montagnes dériver, informe et libre.
🌲 Commentaire
Ce conte d’introduction évoque profondément la notion de pǔ 樸, le bloc non sculpté, concept central du Dào Dé Jīng.
Ce n’est pas l’absence de forme : c’est la plénitude des formes possibles, l’état naturel des choses avant qu’on ne les façonne selon notre volonté.
Dans notre quête de perfection, de production, de raffinement, nous oublions souvent que ce qui est déjà là contient une sagesse silencieuse.
L’art véritable du sage consiste moins à créer qu’à reconnaître.
🌀 À méditer
« Plus tu tailles, plus tu choisis.
Plus tu choisis, plus tu perds.
Le Dào est là, dans ce qui n’a pas encore été. »