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Chapitre 42 du Dào Dé Jīng

La genèse du multiple

Texte chinois

道生一,一生二,二生三,三生萬物。
萬物負陰而抱陽,沖氣以為和。
人之所惡,唯孤寡不穀,而王公以為稱。
故物或損之而益,或益之而損。
人之所教,我亦教之。強梁者不得其死,吾將以為教父。


Proposition de traduction

Le Dào engendre l’Un,
l’Un engendre le Deux,
le Deux engendre le Trois,
le Trois engendre les dix mille êtres.

Les êtres portent le Yīn en leur dos et embrassent le Yáng,
et de leur souffle mêlé naît l’harmonie.

Ce que les hommes abhorrent — être seul, orphelin, dénué de mérite —
les rois et princes l’utilisent pourtant comme titres de noblesse.

Ainsi, parfois, en diminuant on gagne,
et parfois, en augmentant, on perd.

Ce que les hommes enseignent, je l’enseigne aussi :
« Celui qui est dur et violent ne mourra pas d’une bonne mort. »
Je fais de cette parole mon maître en enseignement.


Commentaire

Ce chapitre dense exprime d’abord une cosmogonie taoïste : le Dào donne naissance à l’Un, principe primordial ; cet Un se polarise en Deux — le Yīn et le Yáng — dont la dynamique engendre un troisième principe : leur union, la « force vitale harmonisante ». C’est ce Trois qui donne vie à toutes les choses.

Chaque être, dès sa naissance, est structuré par cette tension et cette recherche d’équilibre entre ombre et lumière, réceptivité et activité. Il s’agit donc d’un modèle métaphysique, mais aussi d’un guide intérieur : vivre, c’est habiter cette tension sans la rompre.

La seconde partie est une leçon de sagesse politique et existentielle : les termes méprisés (孤 gū – seul, 寡 guǎ – veuf, 不穀 bùgǔ – sans mérite) sont assumés par les souverains pour marquer leur humilité. Cela illustre le renversement paradoxal si cher à Laozi : ce qui semble faible ou vide recèle la vraie puissance.

Enfin, le chapitre se clôt sur une maxime ferme : la violence, bien qu’elle puisse s’imposer un temps, mène inévitablement à une fin prématurée. La douceur, la retenue, la conformité au rythme du Dào, garantissent une longévité véritable — autant physique que spirituelle.


Résonance contemporaine

Dans un monde qui valorise la performance, l’accumulation et l’éclat, Laozi rappelle que la source de toute vie réside dans l’invisible et l’indifférencié. L’Unité ne se voit pas, elle se réalise.

Aujourd’hui encore, embrasser le paradoxe — gagner en renonçant, diriger en s’effaçant, durer en étant souple — est une voie d’équilibre face aux tensions du pouvoir, aux rapports humains et à l’exigence intérieure.

Le Dào n’est pas une doctrine figée, mais un art de vivre au fil du souffle, dans l’harmonie des contraires.

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