Le Grand Dào s’étend partout
Texte chinois
大道汜兮,其可左右。
萬物恃之以生而不辭,功成而不有。
衣養萬物而不為主,可名於小;
萬物歸焉而不為主,可名為大。
以其終不自為大,故能成其大。
Proposition de traduction
Le Grand Dào se répand, vaste et fluide, allant vers la gauche comme vers la droite.
Tous les êtres s’appuient sur lui pour vivre, et jamais il ne s’en vante.
Il accomplit ses œuvres sans en revendiquer la propriété.
Il vêt et nourrit les dix mille êtres, sans jamais se poser en maître.
C’est pourquoi on peut l’appeler “petit”.
Mais tous les êtres lui reviennent, et jamais il ne se pose en souverain.
C’est pourquoi on peut l’appeler “grand”.
Justement parce qu’il ne cherche pas à se faire grand,
il peut accomplir le Grand.
Commentaire
Dans ce chapitre, Lǎozǐ revient à la nature même du Dào, ce principe fondamental, invisible et omniprésent. Le Dào agit sans agir, nourrit sans posséder, mène sans dominer. Il ne revendique rien, mais tout provient de lui. Ainsi, il incarne une puissance tranquille et souveraine, qui agit dans la non-prétention, l’effacement, et pourtant soutient tout ce qui vit.
Ce texte illustre une logique que nous retrouvons tout au long du Dào Dé Jīng : c’est justement parce qu’il ne cherche pas à se montrer qu’il est véritablement grand. L’humilité, la non-ingérence, la non-revendication sont les qualités du Dào… et devraient être celles du sage ou du souverain.
Lǎozǐ utilise une dialectique subtile : le Dào peut être nommé “petit” parce qu’il est humble, discret et silencieux. Mais c’est cette même humilité qui le rend “grand” — car il agit sans frottement, sans contrainte, comme l’eau qui suit les formes sans jamais perdre sa force. Cette grandeur naît d’une présence constante et invisible.
Résonance contemporaine
À une époque où l’on glorifie l’éclat, la visibilité et la puissance affichée, ce chapitre est un rappel fondamental de la puissance du silence, de l’humilité, de l’action désintéressée. Il nous dit que l’on peut nourrir, guider, transformer profondément — sans jamais s’imposer ni s’afficher.
Le Dào, en tant que principe, peut inspirer aussi bien le leadership que l’éducation ou le service. Ne pas revendiquer le fruit de ses actions, laisser les choses se faire naturellement, sans forcer… voilà une sagesse profondément écologique, humaine, et intemporelle.