« Celui qui assiste un souverain selon le Dào »
Texte chinois
以道佐人主者,不以兵強天下。
其事好還。
師之所處,荊棘生焉。
大軍之後,必有凶年。
善有果而已,不敢以取強。
果而勿矜,果而勿伐,果而勿驕,果而不得已,果而勿強。
物壯則老,是謂不道,不道早已。
Proposition de traduction
Celui qui assiste un souverain selon le Dào
ne cherche pas à soumettre le monde par la force.
Car toute action violente appelle son retour.
Là où campe une armée, les ronces prospèrent.
Après une grande guerre, viennent les années de calamité.
Celui qui agit avec sagesse se contente du fruit de son action,
sans chercher à dominer par la force.
Il agit sans se glorifier,
agit sans se vanter,
agit sans arrogance,
agit parce qu’il y est contraint,
agit sans brutalité.
Tout ce qui atteint sa plénitude décline :
agir contre le Dào,
c’est s’éteindre trop tôt.
Commentaire
Ce chapitre est l’un des plus clairs du Dào Dé Jīng sur la critique de l’usage de la force. Laozi y exprime une vision profondément anti-belliciste : la guerre, même victorieuse, est toujours suivie de ruine. Là où l’armée passe, la terre devient stérile ; la gloire militaire est un feu de paille qui consume la vertu.
Mais le propos va plus loin : même lorsqu’une action violente semble inévitable, elle doit être accomplie sans orgueil, sans désir de conquête, sans volonté d’imposer sa puissance. C’est la posture du sage : il agit sans s’approprier. Il n’agit que par nécessité, et non par vanité ou par orgueil.
Laozi affirme ici un principe fondamental du Dào : tout ce qui devient trop dur, trop intense, trop extrême, se détruit. Ce qui est contre le Dào (不道) se consume rapidement (早已). En d’autres termes, l’excès mène à la chute. La longévité est dans le non-excès, dans la souplesse, dans la discrétion.
Résonance contemporaine
À une époque où les tensions militaires et les conflits armés ressurgissent régulièrement, cette parole de sagesse trouve une résonance puissante. Laozi nous rappelle que la violence engendre la violence, que le cycle des représailles n’a pas de fin, et que le vrai pouvoir réside dans la maîtrise de soi.
Dans un monde politique, médiatique ou personnel où la conquête, la démonstration de force, l’affirmation de l’ego sont omniprésents, ce chapitre enseigne une autre voie : celle de la retenue. Il s’agit d’agir avec efficacité, mais sans ostentation, sans en tirer fierté, et surtout, sans chercher à dominer. C’est un appel à une éthique de la mesure.