Vivre à contre-courant
唯之與阿,相去幾何?
美之與惡,相去若何?
人之所畏,不可不畏。
荒兮,其未央哉!
眾人熙熙,如享太牢,如春登臺。
我獨泊兮,其未兆;沌沌兮,如嬰兒之未孩。
傫傫兮,若無所歸。
眾人皆有餘,而我獨若遺。
我愚人之心也哉!
俗人昭昭,我獨昏昏;俗人察察,我獨悶悶。
澹兮,其若海;飂兮,若無止。
眾人皆有以,而我獨頑且鄙。
我獨異於人,而貴食母。
Proposition de traduction
Acquiescer ou répliquer — quelle différence ?
Beauté ou laideur — où est la limite ?
Ce que les gens redoutent,
je ne peux m’en affranchir.
L’univers s’égare dans l’infini —
le tumulte ne connaît pas de fin.
Les gens sont joyeux, bruyants,
comme lors d’un grand banquet,
ou montant sur une terrasse au printemps.
Moi seul, calme et tranquille,
je ne montre aucun signe.
Troublé comme un nourrisson avant le rire,
lassé comme sans refuge.
Tous ont plus qu’il ne faut,
je semble avoir tout perdu.
Mon cœur est celui d’un homme simple !
Les gens sont éclairés, je suis obscur.
Ils sont clairvoyants, je suis opaque.
Calme comme la mer, errant sans fin dans le vent.
Tous sont habiles et utiles,
je suis rude, rustique.
Seul, je suis différent —
car je chéris la mère qui engendre toute chose.
Commentaire
Ce chapitre est un chef-d’œuvre de style intérieur. Lǎozǐ ne prêche plus, il parle depuis son être. Il se dépeint en marge, volontairement à contre-courant :
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Les gens célèbrent le banquet de la vie, lui est jeûne et silence.
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Les autres paraissent sages, lui est “fou” de Dào.
La beauté de ce chapitre tient à ce retour à l’enfant, à la simplicité première.
Lecture intérieure
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“我愚人之心也哉!”
« Mon cœur est celui d’un fou… »
Cette phrase bouleverse. Lǎozǐ ne se pose pas au-dessus, mais en-dehors, dans la tendresse. -
“贵食母”
« J’honore la nourriture de la Mère »,
c’est-à-dire : je retourne à la source du Dào,
à l’origine silencieuse et nourricière de toute chose.